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CHOISIR C'EST RENONCER


Qui n'a jamais eu un choix douloureux à faire ? Qui n'a jamais douté ? Qui n'a jamais culpabilisé ? Qui n'a jamais été dans l'inconstance ?

C'est affreux. Oui je pèse mes mots ! Affreux pour une femme aussi entière que moi, affreux pour mon entourage qui vit ma culpabilité, mes questionnements, ma demande de réconfort. Affreux quand j'espère obtenir un grand feu vert ... qui ne viendra pas des principaux intéressés : mes enfants.

Quand je l'ai pris, je travaillais à mon compte, j'étais célibataire, avec deux enfants à charge. "Moi vivante jamais" c'est ce que j'avais l'habitude de dire quand mes enfants me réclamaient un chien. Je disais même que j'avais une aversion pour les chiens. Ce qui était vrai. Il faut bien avouer qu'il n'y a pas grand chose de plus dégueulasse et de plus contraignant qu'un chien.

Mais l'amour que je leur porte et la projection de l'image d'une famille plus heureuse avec cet être à quatre pattes ont eu raison de moi. Et en ce jour de 24 avril 2020, en plein confinement, j'ai outrageusement bravé les interdictions de circulation pour aller récupérer ce chiot épagneul breton de deux mois. Journée mémorable, des enfants émus, une chatte curieuse et peu farouche, et un chiot ... déjà excité au bout de 20 mns.

Ce sentiment de faire les choses sans jamais être totalement convaincue. Vivre dans le doute est un véritable poison. Car oui je n'étais pas sure à 100% de prendre la bonne décision. Mais l'envie de vivre au jour le jour, de faire plaisir s'ajoutent à la capacité de surestimer l'aptitude à tout gérer, seule. Puis les jours, les semaines et les mois passent, et même si l'amour arrive comme un tsunami, on sait qu'on a pris, non pas perpet mais une bonne décennie de redoutables contraintes. Et neuf mois plus tard, le temps d'une grossesse, le choix de le rendre s'impose. Oui, cruelle maman que je suis, mais il ne m'était plus concevable de supporter canapé, coussins, plaids, chargeurs, vêtements, fauteuil saccagés dès que je m'absentais trois heures. Prendre un chiot en plein confinement est la meilleure chose à faire pour le faire souffrir d'hyper-attachement. Car une fois la liberté retrouvée, ce fut une souffrance pour lui d'être seul, et une crise de nerfs quotidienne pour moi de voir le désastre. Mais la séparation n'aura été que de 24h, car son nouveau propriétaire chasseur m'inspirait une confiance toute relative et ma décision avait plongé mes garçons dans une tristesse que je ne me pardonnerai jamais. La nuit et la matinée furent terribles. La vie reprit son cours avec une volonté de mieux accepter la situation ... que je m'étais infligée. Un épagneul breton ne se promène pas en laisse, un épagneul breton ne se contente pas d'une balade de quinze minutes ... Non, un épagneul breton doit se dépenser et rien ne l'épuise. Sans aucune exagération, courir cinquante minutes, non stop, absolument non stop sur la plage ne l'épuise pas ... c'est juste l'échauffement en quelques sortes. En trois ans et demi, nous n'avons pas manqué une seule balade, ni celle du matin, ni celle du soir, parfois même trois sorties dans la journée. Rien ne l'arrête. Il va dormir quelques heures dans la journée, mais jamais bien profondément. De plus, je pense sincèrement avoir perdu de l'ouïe depuis que je possède un chien. Car quand je suis tranquillement sur mon canapé, qu'il dort, enfin que je crois qu'il dort, et qu'un cycliste, une voiture, un piéton, un dromadaire ou un ovni passe, il se réveille en sursaut en aboyant d'une force !! La rapidité à laquelle je me lève pour lui ouvrir la fenêtre sur laquelle il saute ... Faut pas être cardiaque ! Et ça, c'est vingt fois par jour plus dix fois dans la soirée. A force, y a de quoi devenir dingue. Et quand mes garçons sont chez leur père et que je m'octroie une soirée restau ou autre, rentrer à 23h et découvrir les coussins du canapé répartis sur l'ensemble du salon avec un énième plaid déchiqueté, y a de quoi avoir les nerfs avant de se coucher et le palpitant qui s'accélère. Quant à ramener un homme à la maison, c'est du domaine de la science fiction.

Ça ne se lit pas, mais il y a aussi des centaines de moments de câlins très forts. Chaque jour à vrai dire, plusieurs fois par jour même. Le rituel du "bonjour" et du "bonne nuit" est un moment de douceur et d'amour. Mais comme ma vie n'est pas très douce, tous les mauvais moments prennent le dessus sur le reste et ne font qu'accroitre ce sentiment de se gâcher la vie pour un chien.

Quand on met un enfant au monde, la seconde qui succède à la naissance, un tsunami d'amour vous explose en pleine figure. Aucune homme ne peut le comprendre. Seules les mamans savent. Sans comparer, mais l'amour pour un chien a une puissance toute semblable. Si on m'avait dit à quel point on s'y attache, j'aurais ri au nez de la personne.

Aujourd'hui, ma situation a changé. Un fils qui ne vit plus avec moi, un autre qui rentre en médecine donc une montagne de travail à venir, et ma vie professionnelle qui se stabilise avec la signature d'un CDI pour fin août. Je suis allée le chercher ce job. Je l'ai voulu. Pourquoi ? Une stabilité financière et la perspective de rencontrer des gens intéressants. Mais je sais qu'un sacrifice doit se faire. Ces trois derniers mois, le CDD que j'ai occupé m'a donné la tendance du futur. Se lever une heure plus tôt le matin pour lui faire sa balade avant de partir bosser. Le midi rentrer en coup de vent juste pour lui ouvrir, le découvrir toujours très calme, affalé sur le canapé. Le soir en revanche, rentrer à 18h15 et retrouver un chien littéralement survolté, qui vous aboie dessus tout en vous réclamant câlins et sortie. Pas le temps de dire ouf que la balade s'impose. 20h sonnent, et maintenant du temps pour moi. Enfin, en théorie, car en pratique une fois son repas pris il réclame à jouer. Je le comprends mais j'ai de la peine. Beaucoup. Car je n'ai pas envie de jouer quand je viens de me taper une heure de balade, une journée de boulot et rebelote une heure de balade. Promenade qui se passe toujours en plein campagne, sur des chemins de randonnées. Donc je culpabilise, je me fais du mal, et je lui en fais. Mon fils le gère mais idem, il a beau s'en occuper, le soir il a juste envie de se poser. Et puis sa vie sociale d'un jeune homme de 17 ans 1/2 est très riche, aussi, il n'a plus le même temps qu'il avait il y a 3 ans 1/2.

On m'a proposé plusieurs fois d'aller boire un verre après le boulot ... "je ne peux pas j'ai un chien à sortir". La cinquantaine est là et la soif de liberté qui était endormie depuis une bonne décennie se réveille avec fracas. La presque autonomie de mon ainé, le départ du cadet chez son père, me donnent des pulsions de week-end improvisés, des envies d'escapades, de visites de capitales européennes, de concerts, de soirées au théâtre, de musées nocturnes, de bars, bref, de vivre ! De me mélanger aux autres, dans tous les sens du terme ... mais non, je ne peux pas ... Alors les soirées sont à la maison avec une frustration grandissante, envahissante, qui s'accompagne d'une colère et d'un sentiment de temps perdu, de vie gâchée. Qui s'accompagne aussi d'une forme de dégoût de ce caractère entier qui m'ôte toute possibilité de m'épanouir égoïstement, sans penser au sort de mon amour de chien. Alors, l'idée inconcevable a fait son chemin, celle de la séparation. Celle de le confier à une personne qui saura être présente, tout le temps. À une personne dont la vie à la campagne est amplement suffisante pour être pleinement heureuse, avec mon chien qui sera désormais le sien. La première raison qui m'amène à penser à la séparation n'est malgré tout, pas ma soif de liberté. Elle y participe, je le concède et avec une grande culpabilité, mais c'est avant tout ce travail de commerciale qui me conduira sur les routes du 14, du 50, du 61 et du Nord du 35 toute la journée.

Des questions par milliers, des incohérences, des allers retours, des grands moments de soulagement, voire de joie, des grands moments de souffrance et quelques litres de larmes coulés, voilà ce que mon cerveau me fait endurer depuis maintenant cinq jours, date de ma décision. Et je ne parle même pas de la tristesse de mes garçons qui me prend aux tripes.

Ce n'est qu'un chien après tout. Mais non. "Si tu veux un ami prend un chien" m'a t'on dit récemment. "Chien = bête à chagrin" ai-je également entendu. C'est si vrai.

J'ai tenté de trouver des solutions. L'emmener avec moi à mes rdv pros ? "non" m'a annoncé mon futur patron. Faire appel à un dog-sitter ? pas les moyens. Une garde alternée ? m'a vivement suggéré mon fils, avec qui ? et est-ce la solution ?

Quand une décision est prise, il est bon d'agir rapidement. Ne pas laisser pourrir la situation. Seulement la complexité à trouver un autre maître et la tristesse paralysent un peu les démarches. Et le temps qui passe laisse place à davantage de questions et de doutes. Les suppositions sont du poison m'a t'on dit un jour. Je le confirme. Car je ne suis que dans la supposition ces derniers jours ! Et si seulement mon activité de biographe avait marché, je travaillerais de chez moi, il ne serait donc pas seul la journée, je pourrais l'emmener à certains rendez-vous, et ayant été accompagné toute la journée, le soir, je pourrais sortir librement. Et si j'avais un homme dans ma vie, peut-être que nous pourrions nous partager les tâches et j'aurais eu moins à gérer. Et si j'avais plus d'argent, peut-être aurais-je installé un mur en guise d'enceinte de la maison au lieu du grillage qu'il ne cesse d'arracher et de s'échapper. Ah oui ! Quand les chiennes du quartier sont en chaleur, grosso modo deux fois par an et pendant trois semaines, il s'échappe. Il trouve tous les moyens pour s'échapper. Alors arriver 25 mns en retard au travail car je dois le chercher partout, c'est infernal. Et je ne compte pas les soirées où j'ai dû me lever dix fois, et je pèse mes mots, pour l'empêcher de s'enfuir.

Mais le soir, pourquoi tu ne l'enfermes pas dans la maison avec toi ? Et bien il a été enfermé pendant mes 8h de travail, donc non, le soir il vit sa vie entre dehors et dedans.

Castre le enfin ! il ne s'échappera plus !! Oui en effet, ça calmerait sûrement ses ardeurs, mais j'en suis incapable. C'est inhumain ! Ah oui mais ce n'est pas un humain, c'est un chien justement ... Quand bien même, cela me parait inconcevable.

La femme entière que je suis aime profondément quitte à s'oublier. C'est ce qu'il se passe depuis trois ans et demi. Mais je ne changerai pas. Je vais devoir vivre avec la colère d'un choix qui me rend malheureuse. Celui de la garder et de me priver de beaucoup de choses. Celui de le confier et de me trouver lâche, avec ce sentiment de trahison, moi qui pensais l'accompagner jusque son dernier souffle. Nous sommes si fusionnels. Il se love contre moi tous les jours. Il est allongé dans la cuisine quand je prépare le diner, il m'appelle pour jouer, et depuis ma décision, il pleure tous les matins vers 6h ... une nouveauté ... dûe à sa tristesse ou aux chiennes en chaleur ? Je ne sais pas.

Je ne regrette pas d'avoir pris un chien. Je regrette d'avoir pris un épagneul breton, pure race, qui ne reste jamais à ma vue lors des grandes balades car il va renifler et courser ce qu'il peut dans les champs, mais il revient toujours à moi. Parfois même il se retourne pour s'assurer que je sois bien derrière lui. Il a besoin de tant d'espace, de tellement se dépenser. Les 2 à 3h de balades quotidiennes pourraient potentiellement lui suffire si ma présence était constante. Mais ce nouveau travail, qui m'excite par sa nouveauté et me rebute par le choix qu'il m'impose, avec ce sentiment de privilégier l'argent à l'amour, ferait de lui un chien seul dix heures par jour. Et je ne veux pas lui offrir cette vie de chien. Et privilégier l'argent à l'amour ôte tout sens profond à la vie.

Pour me déculpabiliser j'ai appelé des amis et l'éleveur qui me l'a vendu, à l'unanimité ils m'ont répondu : tu n'as pas le choix et sois assurée que si il est couvert d'amour comme tu le couvres d'amour, il ne sera pas malheureux.

Rien n'y fait, ma tristesse est grande, et le pressentiment que le regret arrivera à la seconde où il sera parti, mélangé avec un sentiment de soulagement. Insoluble. Donc je vais devoir accepter d'être un humain égoïste, pour pouvoir savourer ma future vie en appartement propre, sans terre et poils, mes soirées faites de vie sociale, et mes week-ends improvisés .. à moins que tout cela ne soit que chimère ...


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